Interview de Cécilia Dutter
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Cécilia Dutter: « Etty Hillesum ne s’est nullement convertie au christianisme »
- Cécilia Dutter, vous êtes romancière, vous venez de sortir « Un cœur universel. Regards croisés sur Etty Hillesum » (Editions Salvator). Il s’agit de votre deuxième livre sur ce thème. Pourquoi cet intérêt pour Etty Hillesum ?
Cécilia Dutter: L’année 2014 marque le centenaire de la naissance d’Etty Hillesum. A cette occasion, j’ai souhaité mettre en lumière l’universalité de son message d’amour et de paix. Sa spiritualité intuitive, personnelle, singulière, sans frontières, sans limites, ouverte sur le monde, me semble pouvoir répondre en effet à la quête de sens contemporaine. C’est pourquoi, bien qu’ayant déjà écrit sur Etty, je voulais approfondir dans un nouvel essai cette foi lumineuse qui se situe à la croisée des croyances, des cultures, des traditions et touche en cela le fonds commun de l’âme humaine. L’objet de cet ouvrage est de souligner la richesse et la densité de ces écrits.
- Comment est structuré cet ouvrage paru sous votre direction ?
C.D: Après avoir rappelé dans un avant-propos nourri les éléments biographiques et le parcours d’Etty Hillesum, je consacre un développement à la fois personnel et analytique à cette figure de femme en laquelle je me reconnais et à cette spiritualité dont je me sens proche, moi qui suis à la fois chrétienne et juive, par ma mère. Puis, j’ai demandé à cinq contributeurs de confession et d’horizon différents du mien de venir à leur tour parler d’Etty. Il s’agit de Delphine Horvilleur, deuxième femme ordonnée rabbin en France, d’Alain Delaye qui ouvre les écrits d’Etty aux spiritualités orientales, de Ghaleb Bencheikh qui nous offre un regard musulman sur ce corpus, de Jacques Arènes, psychanalyste et d’Emmanuel Jaffelin, philosophe.
- Certains assurent qu’Etty Hillesum s’est convertie au christianisme. Votre livre laisse entendre au contraire qu’elle est restée fidèle au judaïsme jusqu’au bout. Quelle est votre position à ce sujet ?
C.D: Etty ne s’est nullement convertie au christianisme, ni à une autre religion. Il est indéniable qu’elle a été nourrie par de nombreuses lectures chrétiennes (la Bible, les Evangiles, Saint-Augustin) et que sur certains aspects, son message s’avère de forte inspiration chrétienne. Mais il serait très réducteur de ne la lire qu’à travers le prisme chrétien. Etty était juive. Et même si elle n’a pas été élevée dans la foi juive, elle semble dépositaire d’un bagage immémorial qui transparaît dans ses écrits et, sur bien des points, vous avez raison, son « croire » est emprunt de la tradition judaïque. Au cours de l’entretien qu’elle a bien voulu m’accorder dans cet ouvrage, Delphine Horvilleur nous les rappelle tout comme elle souligne également l’existence de quelques points de rupture avec la pensée hébraïque. Fondamentalement, Etty est porteuse d’une foi ouverte et a-dogmatique.
- Quel est le message spirituel d’Etty Hillesum ?
C.D: Peut-être pourrait-on le résumer par cette phrase, tirée de son journal : « La force essentielle consiste à sentir au fond de soi, jusqu’à la fin, que la vie a un sens, qu’elle est belle, que l’on a réalisé ses virtualités au cours d’une existence qui était bonne, telle qu’elle était. » Rappelons que ces mots ont été écrits au cœur de la barbarie nazie : Etty est morte à Auschwitz, le 30 novembre 1943. Garder le sens du sacré de la vie au sein de l’entreprise la plus radicale d’anéantissement de la vie qu’est la Shoah, c’est le lumineux message de résistance spirituelle que cette femme exceptionnelle laisse au monde.