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Interview de Sylvain Manternach

17 Avril 2016

Interview de Sylvain Manternach

Sylvain Manternach : « Les Français juifs votent en effet fortement à droite depuis une quinzaine d’années. »

- Sylvain Manternach, vous êtes géographe-cartographe vous avez co-écrit avec Jérôme Fourquet qui dirige le département Opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop. “L’an prochain à Jérusalem?”, un livre préfacé par Michel Wieviorka, récemment paru chez “l’aube”. Entre 2000 et 2014 nous avons assisté à une flambée des actes antisémites en France. Est-elle essentiellement liée au conflit israélo-palestinien?
Sylvain Manternach : Oui, la montée spectaculaire des actes, et notamment des agressions, antisémites est fortement liée au conflit israélo-palestinien. En 1998 et 1999, on recensait environ 80 actes antisémites en France. En 2000, le nombre de ces actes s’établissait à 744, essentiellement regroupés sur les trois derniers mois de l’année, c’est-à-dire après le déclenchement de la seconde intifada. Les incidents autour des synagogues et écoles confessionnelles juives se sont par exemple multipliés en Île-de-France au mois d’octobre 2000 alors que la date du 28 septembre 2000 marque le début de la seconde intifada.
On note également que sur la période 2000-2015, les pics statistiques d’actes antisémites correspondent à chaque fois à un affrontement militaire, fortement médiatisé, entre israéliens et palestiniens. Ce fut le cas pendant la seconde intifada lors de l’Opération Rempart en avril-mai 2002 et au moment de l’Opération Arc-en-Ciel en mai 2004. Ce fut ensuite le cas lors des deux affrontements entre Tsahal et le Hamas à Gaza en janvier 2009 lors de l’Opération Plomb Durci et en juillet-août 2014 au moment de l’Opération Bordure Protectrice.
Par ailleurs, les années sans affrontement militaire proche-oriental ne se caractérisent pas pour autant par un retour à des chiffres équivalents à ceux des années 90, la moyenne des actes antisémites en « années calmes » se situant au-delà de 400 actes par an.
On remarque aussi des pics, moins marqués mais bien réels, de violence contre les juifs qui correspondent à des phénomènes mimétiques ou de contagion. Ce fut le cas à la suite des attentats antisémites de Toulouse en 2012 et de l’Hyper-Casher de Vincennes en janvier 2015. Alors même que la parole politique et médiatique est à la condamnation de ces actes, dans le même temps, ils inspirent et incitent certains à s’en prendre aux Français juifs, c’est un phénomène tout à fait inquiétant.
- L’antisémitisme émane-t-il seulement de la communauté musulmane ou faut-il également prendre en compte la montée de l’extrême-droite?
S.-M. : On manque cruellement d’études et de données chiffrées sur cette question, notamment parce que les auteurs d’actes antisémites sont rarement identifiés. Toutefois, la simultanéité des violences entre Israéliens et Palestiniens et de l’augmentation des actes antisémites en France laisse à penser qu’une part importante de ces actes est le fait de Français issus de l’immigration. Les rapports annuels de la CNCDH des années 2005 et 2006 répondent en partie à cette question puisque sur ces deux années consécutives, 40 puis 66 interpellations suivies de présentations à la justice pour actes antisémites ont été recensées. Or en 2005 et 2006, 21 et 32 de ces interpellations concernaient des personnes appartenant à des milieux « arabo-musulmans ». Eu égard au poids de la population arabo-musulmane en France, la sur-représentation d’auteurs dits « arabo-musulmans » est patente. Cette réalité a été abordée par de nombreux chercheurs que nous citons dans le livre (Nicolas Lebourg, Michel Wieviora ou encore Nonna Mayer).
Pour ce qui est de l’extrême droite, elle se signale plus souvent à l’occasion de dégradations contre des traces historiques de présence juive comme dans les cimetières juifs des villages alsaciens.
On note toutefois que nos concitoyens juifs placent à quasi-égalité des personnes de confession ou d’origine musulmane (34%) et des membres de l’extrême droite (31%) comme responsables des violences antisémites subies. L’antisémitisme d’extrême droite est donc encore très fortement ressenti par nos compatriotes juifs qui se montrent très largement méfiants vis-à-vis de cette dernière.
- Les juifs français votent-ils de plus en plus à droite?
S.-M. : Les Français juifs votent en effet fortement à droite depuis une quinzaine d’années. C’était le cas lors des élections présidentielles de 2002, 2007 et 2012. En 2002, lors du 1er tour de l’élection présidentielle, les candidats de la droite (Corinne Lepage, François Bayrou, Jacques Chirac, Alain Madelin, Christine Boutin et Jean Saint-Josse) recueillent 38% des suffrages de l’ensemble des Français contre 49,4% parmi les Français juifs soit un survote de 11,4 points. En 2007, au 1er tour, la droite (Frédéric Nihous, François Bayrou, Nicolas Sarkozy et Philippe de Villiers) recueille 53,1% des suffrages nationaux et 61,9% des voix des Français juifs, donc 8,8 points de plus. Enfin, en 2012, la droite (François Bayrou, Nicolas Sarkozy et Nicolas Dupont-Aignan) n’obtient que 38% des voix au 1er tour mais 50% auprès des Français juifs, soit un survote de 12 points. A chaque fois, ce survote se concentre principalement sur un candidat, Alain Madelin en 2002 (au cœur de la seconde intifada) et Nicolas Sarkozy en 2007 et 2012. Ce dernier est apparu aux yeux des Français juifs comme le responsable politique qui prenait le plus au sérieux la montée de l’antisémitisme en France, aussi emporte-t-il 45,7% des suffrages des Français juifs en 2007 (contre 31,1% globalement) et 45% en 2012 (contre 27%). Ce fort tropisme à droite est plutôt synonyme de Sarkozysme en 2007 et 2012 et ne se traduit pas forcément par un vote à droite lors des élections locales. Ainsi, à Sarcelles dans les bureaux de vote de la « Petite Jérusalem », là où Nicolas Sarkozy obtenait entre 64,9% et 75,1% des suffrages au 2ème tour de l’élection présidentielle de 2012, c’est le maire PS sortant François Pupponi qui s’est très largement imposé au 2ème tour de l’élection municipale de 2014 avec des scores entre 64,2% et 75,7% selon les bureaux.
- L’antisémitisme favorise-t-il sensiblement l’Alya?
S.-M. : C’est ce que notre étude tend à montrer. D’une part, depuis les années 80, on remarque une hausse de l’Alya consécutive à des événements tragiques survenus en France contre les Français juifs (après les attentats de la rue Copernic en 1980 et de la rue des Rosiers en 1982, après l’attentat contre une école juive à Villeurbanne en 1995, à la suite du déclenchement de la seconde intifada et des répercussions violentes en France en 2000 et à la suite des attentats de Toulouse en 2012). Cette augmentation s’opère en général avec un décalage de deux ans qui correspond à une période préparatoire à cette émigration. En plus de ces pics, la moyenne des départs depuis l’année 2000 est nettement plus élevée que dans les années 80 ou 90, les agressions « du quotidien » et les drames (séquestration et assassinat d’Ilan Halimi, attentats de Toulouse et de l’Hyper-Casher) s’étant multipliés ont produit un effet cumulatif.
D’autre part, les Français de confession ou d’ascendance juive nous ayant déclarés envisager sérieusement l’Alya déclarent par ailleurs à des niveaux très élevés avoir déjà été agressés parce que juifs en France. Ce sont 70% de ceux qui pensent sérieusement à faire leur Alya qui déclarent avoir été agressés (de nombreuses fois à 49%, plusieurs fois à 11% ou une fois à 10%). A l’inverse, parmi ceux qui n’y ont jamais pensé, 78% n’ont jamais été agressés (contre 30% pour ceux envisageant sérieusement). La fréquence des violences subies est donc un facteur décisif (même si ce n’est pas le seul) dans la décision de faire son Alya.

Jérôme Fourquet, Sylvain Manternach – ‘L’an prochain à Jérusalem ? » - L’aube – Décembre 2015 – 240 pages - 20 euros - Site : www.editionsdelaube.com

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