Interview de Janine Elkouby
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Janine Elkouby: « les femmes bibliques sont des femmes au caractère bien trempé , ni dociles ni soumises «
Janine Elkouby, vous êtes l’auteur du livre « Chroniques bibliques au féminin » aux éditions Albin Michel. Pourquoi avoir choisi de faire parler les héroïnes ?
Les récits de la Bible sont en général plutôt centrés sur les hommes : je veux dire que ce sont d' abord des histoires d' hommes, même si la dimension de couple y est, bien sûr, prépondérante . Les femmes , quant à elles, sont souvent reléguées dans les marges du texte . Il était donc tentant, et j'avais ce projet depuis longtemps, de remplir les blancs ou les pointillés du texte : quelles idées assaillaient Sarah tandis qu'elle était kidnappée et emmenée au harem du pharaon pour avoir accepté de se faire passer pour la soeur d'Abraham ? Quelles pensées tourbillonnaient dans la tête de Dinah la silencieuse, objet de la violence de Sichem , puis prétexte à celle de ses frères ? Comment Tsippora , bien peu présente dans le texte, vivait-elle sa vie difficile aux côtés de Moïse ? Qu'auraient pu dire la femme de Noé ou celle de Lot, dont on ne connaît même pas le nom ? Il y a comme un parfum de mystère autour de la vie de ces femmes , un mystère bien attirant .
Vous vous êtes essentiellement appuyée sur les commentaires du Midrach et du Talmud pour rédiger ces chroniques. Est-ce une façon d’aller au-delà du texte littéral ?
Dans la tradition juive, on ne lit pas la Bible dans la nudité du texte écrit ; celui-ci , au contraire , est inséparable de la tradition orale , qui vient l'éclairer, l' expliciter, traquer ses multiples significations . La fonction même du Midrach est précisément de s' interroger sur le texte , en prenant appui sur ses dits et ses non-dits, sur ses redondances et ses silences pour débusquer son sens . Et de fait , le Midrach est d' une extraordinaire richesse , offrant des interprétations variées , des pistes de sens nouvelles , parfois audacieuses , que j'ai en effet exploitées , et qui renouvellent la lecture un peu convenue que nous pouvons avoir de nos textes . A travers le Midrach , les rabbins posent les questions que suscite le texte, tentent d' apporter des réponses qui sont loin d' être unilatérales ou dogmatiques et nous apprennent à lire, Le Midrach m' a inspirée, et, à l' instar de ses auteurs, j' ai prêté l' oreille aux questions qui se posaient à moi, lectrice d' aujourd'hui, aux prises avec les problématiques d' aujourd'hui , je me suis , légitimement , approprié le texte.
Mais je me suis aussi laissé guider par mon imagination , par l' empathie , la fascination que j' éprouve pour ces femmes à la fois si proches et si lointaines , elles qui, dans un autre temps, si différent du nôtre, ont aimé , lutté, souffert, ont voulu et su être partie prenante et active de l' aventure hébraïque et juive.
Peut-on dire que les héroïnes de la Bible sont des femmes de caractère ?
Oui, incontestablement , les femmes bibliques sont des femmes au caractère bien trempé , ni dociles ni soumises , qui avaient , au-delà de leur silence apparent , des choses fortes à dire et qui , pour certaines tout au moins, ont joué un rôle de premier plan , comme le souligne le Midrach . Les unes , comme Sarah , ont formulé clairement des exigences sans appel , d' autres, comme Rébecca, ont emprunté les voies détournées de la ruse , d' autres encore , comme Tsippora , ont posé , dans l' urgence , des actes décisifs : toutes , selon le beau texte d'Emmanuel Lévinas, ont remis sur les rails le train de l'histoire d'Israël, quand il était sur le point de dérailler.