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Interview de Jean-Jacques Biton

8 Juillet 2013

Interview de Jean-Jacques Biton

Jean-Jacques Biton: "La peur inconsciente de la femme est-elle à l'origine de la misogynie?"

A l'occasion de la sortie de son nouveau livre; « Lilith ou l'inquiétante féminité» (Editions Hay'Images) Jean-Jacques Biton répond aux questions de Shalom Pratique.

Shalom pratique: Pourquoi cet intérêt pour le personnage de Lilith?

Jean-Jacques Biton: J'avais découvert ce mythe assez jeune en lisant les ouvrages du kabbaliste Gershom Scholem. A l'époque, je me passionnais déjà pour la psychanalyse. J'ai aussitôt compris que ce personnage nous renvoyait aux angoisses que suscite dans notre inconscient la féminité.

SP: Pourquoi, selon les psychanalystes, le femme fait-elle peur à l'homme?

J-J B: Soyons précis, il s'agit d'une peur inconsciente. Freud parlait de « l'inquiétante étrangeté ». Tout être humain est inquiet face à l'autre, à l'inconnu. La féminité est inquiétante parce qu'elle nous confronte à notre origine. Nous sortons d'un utérus et nous marchons vers une tombe. En clair, nous existons entre deux trous noirs. J'observe, dans ce livre que, paradoxalement, ce n'est pas Lilith, la démone, mais Eve qui fait entrer la mort dans le monde. Le nom de Lilith n'apparaît pas dans le texte de la Genèse. C'est un mythe d'origine babylonien qui s'est greffé sur le texte biblique et a beaucoup inspiré la littérature mystique juive.

SP: Que raconte ce mythe?

JJ B: Avant de créer Eve, D.ieu aurait créé, en même temps qu'Adam, Lilith, une femme. Ces deux êtres sont issus de la terre. Au moment de la relation sexuelle Lilith a voulu inverser la position, dominer Adam. Ce dernier a refusé. Une dispute a suivi, Lilith a quitté le jardin d'Eden et s'est donnée à Satan. Elle a refusé la proposition de retour au jardin d'Eden des trois anges envoyé par D. Depuis ce jour Lilith est devenue une redoutable démone condamnée à voir mourir ses fils. Elle s'attaque aux accouchées et aux nourrissons qu'elle vampirise. Elle est également luxurieuse, dotée d'un appétit sexuel insatiable. Dans ce mythe on retrouve tous les « ingrédients » du versant noir de la féminité si on peut dire. La femme vamp, dominatrice, castratrice. Mais tout cela correspond-t-il à la réalité ou aux fantasmes sexuels que l'homme projette sur un personnage féminin imaginaire?

SP: Dans votre livre vous consacrez plusieurs pages à la criminalité féminine et aux infanticides.

JJ B: Il est exact que j'établis un rapprochement entre le mythe de Lilith et certains pathologies mentales féminines. Mais le crime est-il l'apanage de la gent féminine? Selon la Bible, le premier meurtrier est un homme: Caïn. Freud a démontré que le désir de tuer habite chacun de nous. Ce sont les barrières psychologiques créées par l'éducation, la religion, la peur du gendarme qui nous empêchent de passer à l'acte. Selon Freud, le crime est inscrit en nous presque au même titre que le désir sexuel. Nous versons le sang depuis l'aube de l'humanité. Dans la vie en société, il existe de nombreux crimes symboliques. Virer une personne de façon abusive, l'exclure,...n'est-ce-pas une façon de la tuer symboliquement? La sagesse juive nous enseigne que celui qui fait blêmir son prochain en public perd son monde futur. Cela est considéré comme un crime selon la Torah.

SP: Vous expliquez que le sexe et le corps féminin effraient l'homme. Pourquoi?

J-J B: Ici encore, il s'agit d'une angoisse inconsciente que Freud nomme complexe de castration. Quand le petit garçon découvre la différenciation sexuelle, il vit dans la peur de perdre son sexe, au même titre qu'il perd ses ongles et ses dents de lait. La fillette vit ce manque comme une profonde humiliation, elle en veut à sa mère de ne pas l'avoir dotée d'un pénis. Cette angoisse joue un rôle important dans la construction psychologique et l'orientation sexuelle du sujet. Le corps féminin inquiète l'homme car il est capable de métamorphoses internes. Il peut, par exemple secréter du lait. Le corps masculin est dépourvu de cette capacité. Freud qualifiait la sexualité féminine de « continent noir de la psychanalyse ». C'est dire si les mystères du corps et de l'âme féminine ont intrigué et effrayé. Même les hommes de science s'interrogent. N'est-ce pas cette peur inconsciente de la femme qui a produit la misogynie? Une étude attentive montre que la misogynie est comparable au racisme, voire à l'antisémitisme.

Jean-Jacques Biton "Lilith ou l'inquiétante féminité suivi Du judaïsme à la psychanalyse".

Edtions Hay'Images Mai 2012, 96 pages, 16 euros. Vendu par correspondance: hayimages@wanadoo.fr

Interview paru dans Shalom Pratique n°9, Mai 2012

Cet entretien est publié avec l'aimable autorisation du magazine Shalom Pratique

site: www.shalom-pratique.com

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