Interview de Nathan Weinstock
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Nathan Weinstock: « Jacob Israël de Haan est un très grand poète hollandais »
- Nathan Weinstock, vous êtes écrivain, vous avez traduit, présenté et établi le livre de Jacob Israël de Haan – « De notre envoyé spécial à Jérusalem – Au coeur de la Palestine des années vingt » paru chez André Versaille éditeur. Qui était Jacob Israël de Haan ?
Nathan Weinstock: Jacob Israël de Haan est un très grand poète hollandais (je l'ai découvert - il y a plus d'un demi-siècle en classe terminale au Lycée d'Anvers dans le cadre du cours de littérature néerlandaise). Il est né dans une minuscule communauté juive des Pays-Bas où son père était tout à la fois chantre, chargé du cours de religion, chokhet, mohel, etc. ; bref tout sauf rabbin). Milieu pauvre de sorte qu'il s'est taillé sa réputation à la force du poignet, sans bénéficier de soutiens extérieurs. Il fréquente l'école normale, devient instituteur, se fait connaître par ses premiers poèmes et abandonne progressivement la foi religieuse pour devenir socialiste, parcours classique en milieu juif hollandais à l'époque. Mais à la suite de la publication d'un roman à thématique homosexuelle, il se voit éjecté du jour au lendemain du mouvement socialiste. D'où une profonde aigreur de sa part. Et, après avoir achevé des études de droit et présenté une thèse de doctorat que l'on consulte encore aujourd'hui, il renoue avec le judaïsme, compose un superbe recueil de poèmes à thème juif et s'engage dans la mouvance sioniste religieuse Mizrakhi.
En 1919, enthousiasmé par la Déclaration Balfour il part pour la Palestine en tant qu'envoyé spécial d'un grand quotidien d'Amsterdam (au départ, il aspirait à de hautes fonctions dans l'appareil sioniste, espoir qui sera déçu). En Palestine, il rédige ses chroniques bi-hebdomadaires (remarquables au demeurant), est nommé professeur dans l'Ecole de Droit créée par l'administration mandataire et est actif en tant qu'avocat. Mais il va évoluer. A son arrivée, il était super-sioniste (l'organisation sioniste s'en était apparemment inquiétée puisqu'elle avait ouvert à son sujet
un dossier relatif à son extrémisme). Sous l'influence des milieux ultra-orthodoxes que dirige le Rabbin Sonnenfeld, il évolue graduellement
d'abord vers une attitude très critique vis-à-vis de l'appareil sioniste (qui entendait subordonner la mouvance orthodoxe au Grand-Rabbinat) et ensuite envers le sionisme tout court.
- Comment expliquer que ce fervent sioniste est devenu antisioniste ?
N.W: Il a été tout à la fois séduit par la personnalité charismatique de Rabbin Sonnenfeld et heurté par le sectarisme doctrinaire des dirigeants sionistes. Mais son évolution s'explique aussi par le regard très critique - je dirais même impitoyable - qu'il jette sur la politique de l'organisation sioniste. Des rancœurs personnelles ont contribué à son évolution ainsi que sa nature : c'était un caractériel. Ajoutons-y ses penchants homosexuels, qui ont joué un rôle considérable dans l'attirance qu'exercent sur lui ses jeunes amis arabes.
Mais à côté de ses traits personnels singuliers, il faut reconnaître qu'il est attentif à plusieurs dérives naissantes qui vont marquer l'entreprise sioniste, notamment en ce qui concerne le sort des fellahs. Et on lui doit, outre de superbes descriptions très vivantes des différentes composantes du Yichouv, des interviews des leaders arabes de l'époque auxquels on n'a pas été suffisamment attentif.
- Quelle sera la fin de Jacob Israël de Haan ?
N.W: De Haan sera liquidé par la Haganah en 1924 : c'est le premier assassinat politique depuis la naissance du mouvement sioniste. Crime commis parce qu'il avait acquis une influence considérable auprès de Lord Northcliffe, le magnat de la presse qui était propriétaire du Times de Londres, de sorte que l'on pouvait craindre qu'il ne parvienne à couler le projet sioniste: il faut rappeler qu'à l'époque, la Chambre des Lords était déjà majoritairement hostile à la Déclaration Balfour et que de Haan se proposait de dénoncer le projet sioniste devant la Commission des Mandats de la Société des Nations à Genève... On pouvait donc considérer qu'il représentait un réel danger politique. Il avait concentré sur sa personne une haine incroyable qui s'était traduite par des menaces de mort répétées.