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Interview Pr David Khayat

29 Avril 2013

Interview Pr David Khayat

Pr David Khayat Le Judaisme est une composante déterminante de ma personnalité.

Pr David Khayat, vous êtes chef de service de cancérologie à l'hôpital de le Pitié-Salpêtrière et professeur à l'université Pierre et Marie Curie. Votre dernier livre s'intitule« De larmes et de sang » (Odile Jacob). Pour quelles raisons avez-vous écrit ce livre ?

Pr David Khayat: Je voulais livrer le témoignage de ces 35 ans ou presque de combat contre cette terrible maladie, raconter à travers toutes ces anecdotes, tous ces destins venus se briser sur les mots du cancer dans mon bureau à l’hôpital de la Salpêtrière, expliquer aujourd’hui ce qui à mes yeux est le plus important dans la démarche de soigner, l’intérêt pour l’autre, ce malade brisé, perdu, intérêt sans lequel il n’y a pas de compréhension possible de la singularité qui caractérise chaque patient: différents les uns des autres, mais tous, terriblement, en situation de besoin.

Comment réagissent les patients quand ils apprennent qu’ils sont atteints d’un cancer ? Le cancer est-il indissociable de l’angoisse de mort ?

D.K: : La réponse à votre question dépend de la façon dont le diagnostic sera annoncé. Les mots utilisés peuvent à la fois donner l’espoir et rendre la vie ou en tout cas la vie possible ou au contraire tuer le patient avant même que le cancer ne le fasse. J’ai vu combien de fois des malades complètement « cassés » par une annonce qui n’était pas adaptée à leur personnalité, à leur biographie, à ce qu’ils étaient au moment même où ils entraient dans le bureau de leur médecin pour apprendre cette terrible nouvelle. Le cancer n’arrive pas à devenir une maladie comme les autres, il est perçu dans la société comme une fatalité à la fois inexpliquée, étrange, mystérieuse et en même temps systématiquement affectée de ces sentiments de mort imminente, de souffrance, d’altération physique, de dégradation.

Les mots ont sans doute un pouvoir terrible. Comment le médecin établit-il le dialogue avec le malade ?

D.K: Le médecin établit ce dialogue sur la base de ce qu’il comprend de ce qu’est ce patient en face de lui. Toute la difficulté est de le comprendre dans ce temps infiniment réduit qu’est celui de la consultation. D’où l’intérêt à la fois d’être en situation d’écoute et en même temps d’essayer d’entendre tout ce qui n’est pas dit. Regarder les mains qui tremblent, la transpiration laissée par cette main sur la table, les habits neufs, les regards. C’est en essayant de comprendre tout cela que l’on arrive, sans jamais pour autant avoir la certitude d’y arriver à chaque fois à être ce que j’appelle : « être un bon médecin », non pas un excellent médecin mais un médecin chargé de bonté.

Quand un malade se sait condamné, un accompagnement psychologique est-il encore possible ? Peut-on diminuer les souffrances physiques ?

D.K: Un accompagnement psychologique est toujours possible, que cela soit en début ou en fin de combat.

Il est souvent nécessaire, il ne faut jamais rechigner à le proposer, rien n’est sans doute plus terrible que ce cheminement lent vers une mort annoncée, une mort qui se précise, et aller chercher de l’aide dans ces moments, que cela soit auprès d’un onco-psychologue, d’une équipe de soignants, d’une équipe de soins palliatifs ou même ailleurs dans la foi, auprès des siens, n’a rien de critiquable.

Bien sûr, il est possible de diminuer les souffrances physiques, celles que l’on décrit sous le terme de douleurs. Il existe des antalgiques, des médicaments capables de calmer la plupart des douleurs. Par contre, il est extrêmement difficile de calmer les souffrances. Elles peuvent ne rien à voir avec les douleurs, et il est fondamental de distinguer ce qui différencie la douleur de la souffrance. Autant la douleur se traite par une prescription médicamenteuse autant la souffrance ne peut se résoudre par une simple absorption d’une pilule, fût- elle un anti-dépresseur. La souffrance réside en l’absence d’espérance et il est du devoir du médecin d’aller à tout moment chercher une raison, si futile soit-elle, de continuer d’espérer dans la guérison quand elle est encore possible, d’espérer dans la survie quand la guérison n’est plus possible, d’espérer dans un petit peu de vie en plus quand l’échéance approche, d’espérer simplement mourir dans la dignité entourer des siens quand tout est fini. Il n’empêche que c’est à travers tout cela que l’on peut aider ces patients en souffrance.

Vous écrivez qu’il est possible de guérir 60 % des cancers. Les nouvelles chimiothérapies ont-elles réellement peu d’effets secondaires ?

D.K: Effectivement, 60 % des cancers guérissent aujourd’hui et ceux qui ne guérissent pas, connaissent une durée de survie prolongée avec une qualité de vie généralement satisfaisante.

Effectivement les chimiothérapies ont complètement bouleversé le pronostic et la qualité de vie des patients atteints de cancer. Dans les années 1980, ces chimiothérapies étaient terribles, véritables poisons entrainant vomissements, nausées quasi permanentes, dégradation physique. Aujourd’hui, les chimiothérapies sont beaucoup mieux tolérées et surtout beaucoup plus efficaces.

Dans cet ouvrage, il y a beaucoup de références au Judaisme. Vous racontez une histoire talmudique, vous citez Elie Weisel. Dans l’exercice de votre fonction, le judaïsme vous a-t-il aidé à surmonter des situations particulièrement douloureuses voire insoutenables ?

D.K: Absolument. Le Judaisme est une composante déterminante de ma personnalité. Elle accompagne depuis les premiers jours mon parcours, à la fois d’homme et de médecin. Dans tout ce chapitre où je pose la question du comment et du pourquoi , je fais bien évidemment référence à une dialectique talmudique. Cette capacité du Judaisme de trouver toujours des raisons d’espérer même dans des situations les plus difficiles m’a donné tout au long de ma vie le courage de continuer ce combat.

David Khayat De larmes et de sang 270 pages 21,90 euros www.odilejacob.fr

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