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Interview d'Olivier Gaget

23 Septembre 2014

Interview d'Olivier Gaget

Olivier Gaget « L’union sacrée a réellement joué durant la grande guerre »

- Olivier Gaget, vous êtes l’auteur du livre “Les Poilus juifs d’un régiment provençal”. Quelle a été leur participation à la Grande Guerre ?

Olivier Gaget: Comme leurs compatriotes des autres cultes, les Juifs de France ont participé à toutes les batailles de la Grande Guerre, et ceux du 112e d’infanterie ˗ régiment constitué de Provençaux ˗ n’ont pas fait exception. Les Juifs de ce régiment étaient principalement des Provençaux et des Algériens mais il y a également eu, à partir de 1915, ceux provenant d’Europe de l’Est.

- Pouvaient-ils pratiquer leur religion sur le front ?

O.-G.: S’il leur était impossible de pratiquer correctement leur religion au front, ils n’en oubliaient pas pour autant les grandes dates du calendrier hébraïque. Précisons que le consistoire avait eu la bonne idée de leur distribuer « La Tefila du soldat », livre de prières à l’usage des combattants israélites. Les Juifs du 112e RI le reçurent en juin 1915. Mais même avant cette date on les voit fêter Pessa’h 5675 (mars 1915) à quelques kilomètres des lignes ennemies et célébrer le seder en présence du rabbin Raoul Hirschler, l’aumônier israélite du 15e corps d’armée dont dépendait le régiment. L’agent de liaison Roger Rebstock, sans doute le plus religieux du régiment, avait parcouru des kilomètres pour aller chercher trois coreligionnaires cantonnés dans un village voisin. Dans son carnet de route tenu tout au long de la guerre, il rappelle annuellement les fêtes de Kippour et de Pessa’h. Quant à respecter le shabbat, c’est bien entendu impossible, surtout dans les tranchées. Ce jour-là, on combattait, on tuait, on mourait aussi. Sigmond Benovici, un Juif originaire de Roumanie, est mort le 3 juillet 1915, c’était shabbat.

- Ont-ils souffert de l’antisémitisme au sein du régiment ?

O.-G.: On sait que les Juifs ont beaucoup souffert de l’affaire Dreyfus ; et dans l’armée, ils ont eu bien mauvaise presse. Durant le premier conflit mondial, les Provençaux seront stigmatisés dès août 1914 et vus comme de mauvais Français tout au long du conflit. Et lorsque l’on s’interroge sur les Juifs durant la Première Guerre mondiale, on ne peut manquer de penser à leur condition durant le conflit suivant. Mais il n’y a rien de comparable ! Au cours de la Grande Guerre, les soldats français de confession israélite se sont comportés et sont morts comme leurs compatriotes des autres cultes ; les premiers étaient tout autant Français que les seconds et partageaient communément le même sort. En face, les Allemands ne voyaient que de simples combattants ennemis d’un pays ennemi au leur. Toute autre sera la donne avec le conflit suivant où les Juifs seront visés en tant que tels et la politique conduite par les nazis, relayée en France par les lois de Vichy, aboutira au projet de leur extermination. Pour répondre exactement à votre question, je n’ai pas trouvé d’antisémitisme au sein du régiment durant la guerre, mais cela ne signifie pas dire qu’il n’a pas existé. J’ai eu la chance de tomber sur le carnet de guerre d’un proche de Charles Maurras. À un moment donné, il croise le général juif Jules Heymann, et note cette rencontre dans son carnet. Il n’y écrit rien de désagréable à son sujet alors qu’il aurait pu le faire, un carnet étant la propriété intime de son auteur. L’antisémitisme ne transparaît pas dans son carnet. L’union sacrée a réellement joué durant la guerre.

- Se sentaient-ils Français avant tout ?

O.-G.: Leur façon de raisonner serait elle différente parce que Juifs ? Je ne le crois pas. S’ils sont Juifs, ils se considèrent avant tout comme Français ; et par ailleurs, la plupart étaient complètement détachés des pratiques du judaïsme. Abraham Ascoli, par exemple, professeur de littérature française, occupant la chaire Victor Hugo à la Sorbonne entre les deux-guerres se sentait pleinement Français avant que d’être Juif ! Seules les lois raciales de Vichy lui feront prendre pleinement conscience de sa condition juive. Même les plus religieux, et je pense ici à Roger Rebstock, se sentaient Français avant d’être Juifs. Toutefois, l’un n’empêche pas l’autre, et si l’on était Français, on se sentait Juif quand même, car ils tenaient malgré tout à prouver à leurs détracteurs qu’ils étaient de « vrais Français », attitude que les antisémites leur reprochaient avant-guerre. Un de ces soldats écrira dans son carnet : « Notre régiment compte nombre de coreligionnaires cités à l’ordre pour faits de guerre ce qui rehausse beaucoup notre renommée ».

Olivier Gaget « Les Poilus juifs d'un régiment provençal » Essai - 290 pages – 28 euros – www.publibook.com

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