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Interview d'Alain Vincenot

2 Février 2015

Interview d'Alain Vincenot

Alain Vincenot: "L’antisémitisme mène à Auschwitz"

- Alain Vincenot, vous êtes journaliste et écrivain. A l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la libération des camps, vous publiez « Rescapés d’Auschwitz » (éditions de l’Archipel). Ce livre est constitué de témoignages de rescapés des camps de la mort. Soixante-dix ans, après quel est l’état d’esprit de ces survivants ?

Alain Vincenot: Dans « Persécutés-persécuteurs », Albert Camus écrivait : « Qui répondrait en ce monde à la terrible obstination du crime, si ce n’est l’obstination du témoignage. » A la Libération, ce qu’avaient subi les rescapés des camps de la mort ne semblait intéresser personne. Les déportés juifs passaient au second plan derrière les déportés politiques, les résistants, héros de la lutte contre l’occupant nazi, qui rentraient des camps de déportation. La distinction entre les conditions de vie, certes terribles, des camps de déportation et la politique de mise à mort des Juifs, hommes, femmes, enfants, appliquée dans les camps d’extermination n’était pas perçue. D’autant que ce qu’avaient à dire les rescapés de l’enfer dépassait l’entendement. C’était tellement abominable, les mots paraissaient tellement impuissants à décrire cet antre de l’inhumanité où ils avaient été jetés qu’en France, on ne les entendait pas. L’un d’eux m’a confié : « Nous ne parlions plus la même langue. » Un autre : « Les gens ne nous écoutaient pas. On les dérangeait. Ils nous prenaient pour des fous. Un ami, qui n’avait plus que sa tante, a été interné dans un hôpital psychiatrique. Les médecins ont traité ses divagations par des électrochocs. » Depuis, des livres, des films ont expliqué ce qu’étaient les camps d’extermination, instruments de « la solution finale de la question juive ». Les rescapés ont multiplié les témoignages. Ils sont désormais écoutés. Toutefois, devant l’actuelle montée de l’antisémitisme, en Europe et en France, ils ont, aujourd’hui, le sentiment de ne pas avoir été entendus. En effet, on tue, à nouveau, des Juifs parce qu’ils sont Juifs. Ils ont peur pour leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs arrière-petits-enfants.

- Pensez-vous que tout a été dit sur la Shoah ou reste-t-il des zones d’ombres à explorer ?

A.-V.: L’essentiel a, effectivement, été dit. Quant aux éventuelles zones d’ombre à explorer, le travail appartient aux historiens. Cependant, si l’essentiel a été dit, on s’aperçoit que cela n’a pas été compris par tout le monde. Pour beaucoup, la Shoah, « la plus grande catastrophe jamais perpétrée par l’homme contre l’homme », disait Samuel Pisar, n’est pas considérée comme une tache sur l’humanité. La multiplication des paroles, actes, et agressions antisémites le prouvent. Quelques dates : Janvier 2006, en région parisienne. Youssouf Fofana et son « gang des barbares » torturent à mort un jeune homme, Ilan Halimi, parce qu’il est Juif. Mars 2012, à Toulouse. Mohammed Merah abat trois enfants de trois, six et huit ans, parce qu’ils sont Juifs. Décembre 2014, sept mois après l’attentat contre le musée juif de Bruxelles, à Créteil, dans le Val-de-Marne, un homme est tabassé chez lui, sa femme violée, parce qu’ils sont Juifs. Le mois précédent, dans la même ville, un septuagénaire a été roué de coups, parce qu’il était Juif. Et en ce mois de janvier 2015, alors que mon livre Rescapés d’Auschwitz vient juste de paraître, à Paris, Porte de Vincennes, deux jours après la tuerie de Charlie Hebdo, Amedy Coulibaly prend en otage les clients juifs d’un « Hyper Casher » et en assassine quatre. Ce sont là les faits les plus tragiques. Au quotidien, l’insécurité grandit. Tags sur des magasins juifs, coups de feu contre des synagogues, tombes juives profanées… Dans certains quartiers, un homme ne peut plus porter une kippa. Dans certains établissements scolaires, un professeur d’histoire ne peut plus aborder la Shoah. Et ces gosses insultés, molestés dans les cours de récréation ou leurs quartiers, parce qu’ils sont Juifs. Il est temps de ne pas oublier que l’antisémitisme mène à Auschwitz.

- Toute la politique d’Hitler était-elle guidée par son obsession d’exterminer le peuple juif?

A.-V.: C’était un obsédé de l’antisémitisme. Souvenez-vous de la lettre qu’il écrit, en 1919, à un de ses amis, Adolf Gemlich. Il y juge inefficace l’antisémitisme « fondé sur une base purement émotionnelle ». Ponctuelle, la fièvre des pogroms, déplore-t-il, retombe inévitablement. Il préconise de traiter la « question juive » de manière « rationnelle » et « scientifique ». Selon lui, l’objectif doit être le retrait irrévocable des Juifs en général. Le 3 juillet 1920, il confie au major Konstantin Hierl, un des cadres de son parti, le NSDAP : « Depuis des milliers d’années, le Juif est devenu une tuberculose raciale qui affecte de nombreux peuples. Le combattre signifie l’éliminer. » Et ces lignes de Mein Kampf, publié en 1920 : « Si l’on avait, au début de la guerre, tenu une seule fois douze ou quinze mille de ces Hébreux corrupteurs du peuple sous les gaz empoisonnés que des centaines de milliers de nos meilleurs travailleurs allemands de toute origine et de toutes professions ont dû endurer sur le front, le sacrifice de millions d’hommes n’eût été vain. Au contraire, si l’on s’était débarrassé à temps de ces quelques douze mille coquins, on aurait peut-être sauvé l’existence d’un million de bons et braves Allemands pleins d’avenir. » Treize ans plus tard, à peine au pouvoir, il accable les Juifs d’une multitude d’interdits… Et bientôt, viendrait le temps des assassinats de masse avec les Einstzgruppen, à l’arrière des troupes allemandes sur le front est, puis du crime à échelle industrielle avec les camps d’extermination : Auschwitz-Birkenau-Monowitz, devenu, par son gigantisme, le symbole de la Shoah, Belzec, Chelmno, Maïdanek, Sobibor, Treblinka…

- Pouvons-nous conclure qu’Hitler a provoqué la Seconde guerre mondiale afin de mener à bien son programme d’extermination (Juifs, Tziganes, homosexuels, communistes) ?

A.-V.: Un constat : cette guerre lui a permis d’appliquer son programme d’extermination des Juifs. En ce qui concerne les Tziganes, les homosexuels et les communistes, il est bon de rappeler que les camps d’extermination ne leur étaient, à priori, pas destinés. Le but des nazis était de les « rééduquer », dans des conditions, certes, épouvantables, pas de les assassiner systématiquement. Quand un convoi de Juifs se garait le long de la Judenrampe de Bikenau, 80% de ses déportés étaient d’emblée conduits à la chambre à gaz. Les autres étaient condamnés à mourir au travail. Quand un convoi de Juifs arrivait dans les autres camps d’extermination, c’était 100% de déportés qui étaient immédiatement mis à mort.

Alain Vincenot - "Rescapés d'Auschwitz" - éditions l'Archipel - 2015 - 264 pages - 19,95 euros.

Site: www.editionsarchipel.com

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