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Interview d'Alain Chatriot

15 Mai 2015

Interview d'Alain Chatriot

Alain Chatriot « Mendès France a eu à souffrir de violentes attaques antisémites »

- Alain Chatriot vous êtes chargé de recherche au CNRS, au Centre de Recherches Historiques (CNRS/EHESS) à Paris. Vous êtes l’auteur du livre “Pierre Mendès-France Pour une république moderne” (Armand Colin). Qu’est-ce qui vous parait essentiel dans la vie et la carrière de cet homme politique?
Alain Chatriot: Ce qui m'a intéressé dans ce livre qui est à la fois une synthèse et un travail de recherche historique c'est de reprendre l'ensemble de la trajectoire politique de Mendès France pour tenter de mieux la comprendre et de dépasser quelques images parfois trop simples que l'on en conserve. J'ai bien sûr voulu situer sa place dans l'histoire de la gauche française au XXe siècle mais j'ai aussi souhaité analyser au plus près ses idées sur les institutions républicaines et sa pratique politique. De ce point de vue, son expérience comme président du Conseil sous la IVe République méritait d'être suivie de près et dans le même temps, il me fallait rappeler ses expériences précédentes (sous le Front populaire, dans la France libre, comme ministre à la Libération) et suivantes (face à la Ve République ou en mai 68).
- Le judaïsme a-t-il occupé une place importante dans la vie de Pierre Mendès-France?
A.-C.: A la fin de sa vie, Pierre Mendès France s'est expliqué sur son rapport au judaïsme en revenant sur ses origines familiales. Fils de Cerf-David Mendès France d'une famille de commerçants bordelais, issue d'une tradition marrane portugaise, et de Palmyre Cahn d'une famille de commerçants strasbourgeois, Mendès France est toute sa vie intéressé par sa généalogie familiale. Son père ne pratiquait pas, sa mère davantage et sa grand-mère maternelle l'a dans son enfance marqué d'une éducation religieuse. En 1976, il revient sur cette dimension de sa vie au cours d'un entretien. A la question posée de ses rapports avec le judaïsme "d'une manière générale", sa réponse est directe : "De rapports officiels, je n'en ai guère. Je ne suis pas religieux ni pratiquant. De ce point de vue, les relations sont peu nombreuses. Par contre, je sais profondément que je suis juif, et mes enfants le savent comme moi. Et, à supposer d'ailleurs que je vienne à oublier que je suis juif, les antisémites me le rappelleraient aussitôt."
- A-t-il été victime d’attaques antisémites?
A.-C.: Tout au long de sa carrière politique, Mendès France a eu à souffrir de violentes attaques antisémites dont on peine parfois aujourd'hui à saisir l'ampleur. L'extrême-droite s'est bien sûr déchainée mais les attaques ont parfois émané d'autres partis politiques. Avec Léon Blum, il est un des hommes de la gauche française les plus critiqué. Ses attaques commencent dès sa première campagne législative en Normandie en 1932 et existent encore en 1968 lorsqu'il se présente devant le suffrage universel pour une dernière fois à Grenoble. Le moment de la Seconde Guerre mondiale a bien sûr été difficile car il a eu à faire face à un procès inique mené par un tribunal militaire à Clermont-Ferrand et durant lequel la presse collaborationniste parisienne le ciblait nettement.
- Comment expliquez-vous que Pierre Mendès-France a été un des premiers hommes politiques français à proposer des pourparlers de paix entre israéliens et palestiniens?
A.C.: Sa volonté de participer activement au processus de paix au Proche-Orient durant les années 1970 rencontre plusieurs de ses préoccupations. A l'époque, pour des raisons de santé, il se met en retrait de la vie politique française et souhaite continuer d'agir politiquement. On l'oublie un peu mais il a toujours eu beaucoup de contacts à l'international et une habitude des négociations (de la conférence de Bretton Woods à laquelle il avait participé aux tractations de paix sur le dossier indochinois). Enfin, il s'investit sur ce dossier car son intérêt pour le devenir d'Israël est ancien. Sur ce dossier, on retrouve sa vision de la politique : regarder les problèmes en face en évitant l'idéologie et faire se rencontrer directement les parties prenantes. Avec le soutien de sa seconde femme, il accueille ainsi en France des acteurs du conflit pour tenter de les faire avancer sur différents dossiers. Quelques mois avant sa mort, il s'engage encore publiquement contre les formes prises par la guerre au Liban en 1982 et cosigne une tribune avec Nahum Goldmann, ancien président du Congrès juif mondial et Philip Klutznick, ancien ministre du président Carter.

Alain Chatriot - Pierre Mendès-France Pour une république moderne - 320 pages - Armand Colin - Février 2015 -

site: www.armand-colin.com

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