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Interview de Max Kohn

26 Février 2014

Interview de Max Kohn

Max Kohn : Mes découvertes sur le préanalytique m’ont montré que la psychanalyse est toujours à produire.

- Max Kohn, vous êtes maître de conférence à l’Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, membre du laboratoire CRPMS (Centre de Recherche en Psychanalyse, Médecine et Société), EA 3522, psychanalyste membre d’Espace analytique. Votre dernier livre s’intitule “Le préanalytique? Freud et le yiddish (1877 – 1897)” (Edition MJW Fédition). Ce livre présente les écrits préanalytiques de Freud. Qu’est-ce qui caractérise ces écrits?

Max Kohn: Ce qui caractérise les écrits préanalytiques, c’est de passer de manière hystérique, dans un certain déplacement d’un objet à un autre qui en apparence n’a rien à voir avec la psychanalyse, le sexe des anguilles, la cocaïne, l’aphasie, le cerveau des enfants, l’invention de méthodes de coloration, avec un fantasme chez Freud, de trouver un élément différentiel. Celui-ci dans les méthodes de coloration doit être visible, mais il s’avère très vite si l’on est attentif à la logique des textes un par un et dans leur liaison que cet élément différentiel n’est pas de l’ordre du visible, mais de l’ordre du langage. C’est le discours de Freud qui compte plus que les objets qu’il étudie et celui-ci est de plus en plus en décalage avec ses objets jusqu’à prendre comme objet sa propre hystérie interne. L’essentiel c’est la découverte d’un lien entre la question de l’identité sexuelle et le langage chez les animaux qui va le conduire à reposer cette question autrement avec les hystériques et à découvrir la somatisation comme ayant une origine psychique chez elles. L’hystérie au sens psychanalytique est alors isolable comme un fait de langage et la psychanalyse peut naître.

- Dans quelle mesure le yiddish a-t-il aidé Freud à élaboré la psychanalyse?

M.K. : Le yiddish comme écart à la langue allemande dans la mesure où il s’écrit en caractères hébraïques et se parle quand même comme du haut allemand, fait que la parole ne correspond pas à l’écrit. Ce qui est dit a l’air d’être de l’allemand, mais ce n’en est pas. Il y a des mots d’autres origines et surtout de l’hébreu hébraïque qui renvoie dans la moindre mention dans la langue à tout le contexte talmudique, à tout un rapport au monde. Freud est né de parents originaires de Galicie, sa mère Amalia est née à Brody et son père Jacob à Tysmenitz. Quand ils sont venus à Vienne, ils ont fait comme tout le monde, ils ont parlé l’allemand avec un accent yiddish, le Mauscheln comme on dit en allemand. Cela signifie que Freud a été élevé dans un écart à la langue allemande, car même s’il ne parlait pas couramment le yiddish, Theodor Reik nous dit pourtant qu’il le parlait avec sa mère, il le comprenait assez bien. Sa correspondance avec sa femme Marthe est truffée de mots en yiddish. Le yiddish a aidé Freud à élaborer la psychanalyse parce qu’il s’intéresse aux mots d’esprit, qu’il les analyse en allemand et qu’il ne peut pas évacuer complètement leur langue d’origine, qu’il appelle comme beaucoup de monde à l’époque, un jargon. Ce caractère péjoratif ne signifie pas que les mots de la langue, leurs associations entre eux, soient complètement absents de son esprit quand il s’attache surtout à montrer que le mot d’esprit a la même structure que le rêve ou le lapsus en tant que formation de l’inconscient, qui utilise les mêmes mécanismes. C’est une ouverture sur le pouvoir du langage. Le yiddish fait une place à Freud.

- A quelle découvertes ou conclusions mène votre recherche sur les liens entre la langue yiddish et la psychanalyse?

M.K. : Mes découvertes sur le préanalytique m’ont montré que la psychanalyse est toujours à produire. Ce n’est pas parce que les choses ont été inventées que cela nous dispense de tout réinventer en institution et en cabinet. L’analytique est à produire. J’appelle analytique, la dé liaison des représentations, le fait de ne pas coller à une représentation, à un mot, à une chose, de s’en décoller. Le mot d’esprit le permet et le yiddish aussi. Le problème, c’est qu’il faut comme analyste porter la parole un peu plus loin que là où elle est fixée pour le sujet dans un symptôme, l’en décoller et toute l’analyse du transfert va dans ce sens. Le yiddish est un excellent exemple d’écart à la langue et le sujet de la parole ne coïncide pas avec la langue qu’il parle. Cela se voit avec l’écriture et cela s’entend. La psychanalyse doit aussi pouvoir décoller d’elle-même. C’est un moyen pour aller plus loin dans son rapport à soi, au monde, aux autres, ce n’est pas une fin en soi. Nous touchons là un rapport talmudique au monde dans lequel la psychanalyse trouve sa place et qui concerne tout un chacun qui veut bien se laisser interroger comme sujet de la parole dans ses certitudes et dans ses symptômes.

Max Kohn « Le préanalytique : Freud et le yiddish (1877-1897) » - MJW Féditions - Novembre 2013 - 252 pages. 22 euros.

Internet: www.mjw-fedition.com

www.maxkohn.com

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